D. Béhar : « Rien ne s’est passé comme prévu dans les quartiers de gare du Grand Paris express »
Daniel Béhar, géographe, professeur à l’École d’urbanisme de Paris (Université Paris-Est), cotitulaire de la chaire « Aménager le Grand Paris » et consultant à la coopérative Acadie, explique pourquoi l’effet de l’arrivée du Grand Paris express s’est surtout fait sentir, jusqu’à présent, en dehors du périmètre de 800 m autour des futures gares, dans le diffus.
Quel regard portez-vous sur le rythme de construction dans les quartiers de gare du Grand Paris express ?
Lors de l’adoption de la loi relative au Grand Paris, en 2010, les quartiers de gare, sur lesquels nous travaillons depuis le début, figuraient au cœur du projet du Grand Paris. Ils représentaient les lieux de la transformation urbaine, du rééquilibrage territorial, où tout allait se jouer. Dix ans plus tard, nous constatons l’existence d’un programme de « vitalisation des quartiers de gare », piloté par la préfecture de région : le terme est assez révélateur, me semble-t-il, de la grande inquiétude des pouvoirs publics, tout comme le lancement récent d’un pack État, liant les différents acteurs étatiques de l’aménagement (établissement public foncier, d’aménagement, etc.). S’il faut aujourd’hui vitaliser ou revitaliser les quartiers de gare, c’est que tout ne s’est pas passé comme prévu.
Que constatez-vous ?
Nous observons deux attitudes par rapport aux quartiers de gare pour les années 2015-2020. Pour résumer, on peut dire que l’on a surestimé l’effet de localisation et sous-estimé l’effet temporel. Rappelons ce que nous avons écrit depuis longtemps : ce métro n’est pas un métro comme les autres. D’une part, il s’agit d’un réseau en rocade et non en radiales. Le Grand Paris express sera avant tout un système d’interconnexions de tous les autres métros, un métro de métros. Autrement dit, son effet n’est pas un effet de mise en accessibilité des territoires, mais plutôt d’interconnexions entre ces derniers.
D’autre part, il se situe sur un tissu urbain déjà constitué. Compte tenu de ces deux facteurs, qui s’additionnent, nous avons assisté à des effets d’anticipation beaucoup plus puissants que ce que l’on imaginait il y a dix ans. Mais ils n’ont pas nécessairement eu lieu à proximité des gares, dans le fameux rayon de 800 m autour d’elles, sur lequel tout le monde s’est focalisé. Lors de la période 2015-2020, au contraire, une dynamique très forte de production urbaine s’est manifestée dans les communes d’assiette mais pas dans les quartiers de gare. Les chiffres des notaires sur le prix de l’ancien l’attestent : les courbes de la hausse des prix sont parallèles dans les quartiers de gares et pour l’ensemble de la commune concernée. Il n’y a pas d’effet quartier de gare, mais un effet zone dense.
Comment l’expliquez-vous ?
Cela provient en grande partie de ce que les chantiers autour des quartiers de gare constituent majoritairement des opérations publiques, où l’urbanisme est contrôlé et prend donc nécessairement plus de temps. Les ménages, comme les promoteurs, sont allés ailleurs, dans le diffus. C’est, par exemple, le cas dans des communes telles que Champigny-sur-Marne ou Fontenay-sous-Bois, où des gares de RER existent déjà. De nouveaux habitants sont venus s’y installer en se disant que la desserte s’améliorera encore avec la mise en service du Grand Paris express. Le raisonnement qui a consisté à penser que les gens attendraient l’arrivée du métro est faux.
Et la perspective de l’arrivée du métro s’est conjuguée avec deux facteurs qui ont été collectivement sous-estimés : la loi Alur (avec la suppression des plafonds de densité) et le retard accumulé dans la construction, notamment d’habitat, au cours des dix années antérieures à la loi sur le Grand Paris de 2010. On a donc assisté à la fois à des divisions de parcelles, des densifications pavillonnaires et des regroupements de parcelles, pour des opérations de petits collectifs, de 20 à 30 logements.
Pourquoi prenez-vous l’exemple de Paris Est Marne & Bois ?
Parce que ce territoire est celui, de toute la Métropole, où l’on a le plus construit au cours des dernières années. A Nogent-sur-Marne, Joinville-le-Pont, Fontenay-sous-Bois, etc., on a massivement bâti dans le diffus et non pas dans les quartiers de gare. Aujourd’hui, l’établissement public territorial et ses communes membres préparent un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) visant précisément à préserver le pavillonnaire. Et le nouveau maire de Champigny, pour ne prendre que cet exemple, entend réduire fortement la programmation autour de la future gare du Grand Paris express dans le centre-ville.
Les quartiers de gare pâtissent-ils selon vous d’une mauvaise image ?
Non. Ce que nous disons simplement, c’est que le marché est allé plus vite que la puissance publique. Le marché a été beaucoup plus réactif, plus agile, en dehors des quartiers de gare, dans des zones moins contrôlées que les 500 à 800 m autour des gares, qui ont fait l’objet de la création de zones d’aménagement concerté (ZAC), qui s’inscrivent dans le temps long de l’aménagement public. On a constaté une explosion de la construction dans le diffus privé, quand les opérations publiques à l’intérieur du périmètre de 800 m autour des gares étaient toujours en préparation. Les quartiers de gare arrivent donc avec un train de retard. Ils vont pénétrer un marché qui n’est plus le même qu’il y a dix ans, avec le contre-coup de ce qu’il s’est passé depuis.
La densification dans le diffus que vous décrivez comporte-t-elle un risque sur la commercialisation des programmes dans les quartiers de gare ?
Oui, ce risque existe. On fait toujours comme si les quartiers de gare allaient être à l’origine de tout le reste. Or selon nous, ils ne vont se densifier qu’à la fin du processus. Ce ne sera pas 2025 mais bien plutôt 2035. Regardez ce qu’il s’est passé dans les quartiers de gare du RER : la densification urbaine est survenue une fois que la transformation des modes de vie s’était mise en place. L’erreur, avec le Grand Paris express, c’est d’avoir pensé que tout allait commencer par les quartiers de gare. Il faut laisser du temps au temps.
Votre analyse n’est-elle pas trop globalisante ?
Les situations vont varier selon les différents types de combinaison entre les deux cycles, le diffus et le polarisé. Dans certains endroits, il y a de la place pour le développement des deux, à la fois le privé diffus et le polarisé public. Mais ce ne sera pas le cas partout. Dans certaines villes, ce qui s’est passé dans le diffus risque d’obérer la capacité à produire dans les grandes opérations d’aménagement publiques. Je pense par exemple à Villejuif–Aragon dans le Val de Marne ou à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis. Ces phénomènes ne sont d’ailleurs pas propres au Grand Paris express et concernent aussi Éole à l’ouest. C’est également une infrastructure qui existe, qui monte en qualité, dans un tissu urbain déjà constitué, et qui peut donc être investie sans attendre l’ouverture de la nouvelle ligne. Les grands projets urbains, par exemple à Epône-Mézières ou entre Mantes-la-Jolie et Mantes-la-ville sont impactés par le fait que le marché a été plus rapide.
Vous évoquez des injonctions contradictoires ?
Depuis 2020, la programmation dans les quartiers de gare du Grand Paris express est prise en tenailles. Les maires, face à la pression des habitants contre la densification diminue, généralement de 30 %, les programmations de construction envisagées dans les quartiers de gare. Et, comme on a densifié les tissus urbains des communes, les besoins d’équipements, médicaux, scolaires, sportifs, ont augmenté, sans avoir été suffisamment anticipés. Les aménageurs doivent donc répondre à une demande contradictoire de faire moins, en faisant plus. Moins de logements, de bureaux ou de commerces, et plus d’équipements publics. Ces opérations, près des gares, sont donc aujourd’hui encore plus difficile à sortir et à équilibrer qu’il y a dix ans.
Et le tertiaire ?
Certains maires s’arc-boutent sur leur volonté de développer le tertiaire ou l’activité dans les quartiers de gare. Alors que dans certains cas, le marché n’existe pas pour cela. L’effet du Covid se fait sentir en l’espèce, rendant inaccessible l’ambition de rééquilibrage est-ouest de la loi de 2010 sur le Grand Paris. Les chiffres de la préfecture de région sur les agréments de bureaux le reflètent très bien, avec une déconnexion absolue entre la ligne 15 sud du Grand Paris express, qui va être la première à être mise en service, et la programmation tertiaire. Il n’y a aujourd’hui aucune programmation tertiaire dans le Val-de-Marne. Il n’y a pas de marché pour cela. Les quartiers de gare comme lieu de mixité fonctionnelle, à l’ouest peut-être, mais pas à l’est… En réalité, le métro du Grand Paris va avoir les mêmes effets socio-territoriaux que le RER dans les années 1960 : toute la demi-couronne est va avoir un accès beaucoup plus grand aux pôles d’emplois de l’ouest, qui eux sont en train de se renforcer. L’attractivité résidentielle de l’est va donc augmenter.
J’ajouterais que, contrairement au résidentiel, le tertiaire comme l’activité ne peut anticiper l’arrivée d’une desserte, mais doit attendre cette dernière pour investir. Les acteurs de l’immobilier de bureaux sont beaucoup plus attentistes, sensibles aux reports de calendrier. Un certain nombre d’investisseurs étaient prêts à tenter des coups à l’est. Le Covid, l’essor du télétravail, en un mot la rétraction de l’immobilier tertiaire, les en ont découragés.
Quelles conséquences cela emporte-t-il ?
Il faut prolonger la durée de vie de la Société du Grand Paris comme aménageuse des quartiers de gare. La SGP aurait intérêt à conserver son foncier, acquis souvent à un prix élevé, et à attendre pour le céder. Je crains que la pression politique, pour sauver les quartiers de gare, aboutisse à une programmation inadaptée. C’est ce qui s’est passé dans les villes nouvelles. Si les choses n’évoluent pas naturellement comme on le souhaitait, l’État se sert des outils dont il dispose pour que cela fonctionne quand même. Il faut préserver les quartiers de gare plutôt que de les vitaliser.
Sur la question du ZAN, on joue parfois un peu à se faire peur. Rappelons que cette règle ne s’appliquera que dans dix ans et que l’Ile-de-France est, sur la question, plutôt vertueuse, ayant déjà largement réduit sa consommation foncière.
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